Page 29 - CCI GUTYANNE- 2017 - Par Bucerep
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éclairage
LGeeSoénragteeusr Patient
Deux questions…
Le Développement : Quels sont les enjeux et défis de la Le Développement : Rien ne semble en mesure de freiner
CTG un an après sa mise en place ? l’insécurité en Guyane. Quelles mesures préconisez-vous
pour juguler le phénomène ?
Georges Patient : Je me félicite de la simplification des
institutions et de la cohérence dans l’action publique qu’apporte cette Georges Patient : Le contexte socioéconomique de la Guyane
réforme. La mise en place de la Collectivité Territoriale de Guyane de fort chômage et de faible niveau éducatif, la typologie de nos
est une opportunité de rationaliser et de rendre plus efficace l’action villes avec de nombreuses zones d’habitats informels, le manque
publique locale. Il convient cependant d’insister sur le fait qu’elle de logements avec pour corollaire la prolifération des « squats », la
n’est qu’un instrument institutionnel, mais en aucun cas une solution multiplication des bandes mais également son environnement régional
miracle. Les contraintes et limitations qu’elle supporte sont les et la perméabilité des frontières constituent un terreau favorable au
mêmes que celles qui pesaient sur la région et le département qu’elle développement de la délinquance. La criminalité qui en résulte sape
remplace : inadéquation réglementaire et législative et indigence des les fondements de notre société.
moyens financiers.
Il est de la responsabilité de l’Etat de s’attaquer sans plus attendre à
La Constitution prévoit, dans les deuxième et troisième alinéas de ce problème. Le plan de sécurité outre-mer, présenté par le ministre
l’article 73, des possibilités d’adaptation et d’habilitation au profit des de l’Intérieur, est en cela un bon début : augmentation des effectifs
collectivités territoriales des DROM qui le souhaitent. La Guyane est de police et de gendarmerie, plus de moyens matériels, nouveau
dans ce cadre et peut se voir reconnaître le droit de fixer des règles commissariat pour Cayenne, ouverture d’une antenne guyanaise
applicables sur son territoire dans un domaine particulier, d’adapter de l’OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des
les dispositions et outils élaborés au niveau national en fonction des Stupéfiants). Cependant, Il faut être plus ambitieux.
spécificités et contraintes locales.
Il serait bon que le gouvernement prenne en compte la demande que
La CTG, institution politique unique du territoire, bénéficie de la je lui ai faite de placer la Guyane en Secteur et Unité d’Encadrement
légitimité pour exercer ce droit afin d’avancer significativement vers Prioritaire (SUEP). Ce dispositif présente l’avantage de stabiliser
une meilleure prise en compte des réalités et spécificités locales. Dès les personnels de sécurité en limitant le turnover, donc d’améliorer
à présent, les réformes engagées (schéma unique d’aménagement du la connaissance du terrain, et de permettre de décider localement
territoire, programmation pluriannuelle de l’énergie, code minier, etc.) de l’affectation des moyens supplémentaires. Il viendrait renforcer
doivent aboutir entre autre à la mise en place d’habilitations au profit le dispositif des Zones de Sécurité Prioritaires. Il faut également
de la CTG, comme dans la gestion du foncier ou dans la délivrance renforcer les moyens de police scientifique qui n’arrivent plus à suivre
des autorisations minières. le rythme de croissance de la délinquance. Aussi il conviendrait de
transformer le service local de police technique (SLPT) en service
Avec l’aide des parlementaires, la CTG doit vaincre les réticences local d’identité judiciaire (SLIJ) associé à un bureau technique (BT),
d’un Etat centralisateur à déléguer et décentraliser. Je veux croire organisation adoptée aujourd’hui en Martinique. Enfin, nous devons
que cette nouvelle structuration institutionnelle nous donne enfin la réfléchir à l’implantation de commissariats dans les villes excédant
possibilité de construire une Guyane sui generis… 20 000 habitants. Je pense aux villes de Kourou, Matoury et Saint-
Laurent du Maroni.
Mais pour cela, la CTG, qui constitue bel et bien une nouvelle entité
dont le fonctionnement ne saurait résulter de la simple addition Pour autant la réponse purement sécuritaire ne suffira pas. Le
ou juxtaposition des compétences exercées par le département traitement de l’insécurité doit aussi inclure les dimensions judiciaires,
et la région dont elle est issue, devra faire preuve d’exemplarité et éducatives, économiques et socioculturelles de la Guyane. Il n’y
surmonter plusieurs écueils : aura pas de développement sans sécurité, ni de sécurité sans
• L ’appropriation de la réforme par les acteurs politiques locaux et leur développement. L’éducation est certainement la meilleure arme
contre la délinquance et cela commence au sein des familles. Il nous
capacité à créer et gérer un espace d’innovations et d’ingénierie faut les responsabiliser et les aider, si besoin, dans l’éducation de
institutionnelle, leurs enfants mais aussi, pourquoi pas, les sanctionner dans certains
• L a question particulièrement sensible des transferts de personnel, cas extrêmes.
parce que susceptible de générer des inquiétudes, voire des
souffrances humaines, mais aussi une dérive budgétaire Enfin, notre société doit se battre contre cette culture du « Bad boy »
insoutenable. qui valorise chez les jeunes, à travers la musique et autres médias, les
• L’adhésion des populations aux changements dont elles discernent comportements violents et les incivilités. Il ne peut y avoir de société
mal les contours. apaisée quand le moindre regard risque de dégénérer en rixe, aux
conséquences parfois dramatiques. Au contraire, valorisons le civisme
et la réussite par le travail.
Propos recueillis par René Ladouceur
Le Développement // Mars 2017 // N°114 27